Lors d'une réunion sur les Territoires à Risques d'Inondation, on m’a demandé
d’intervenir pour donner un « ressenti » en qualité d’habitant d’un
village inondable ; Cheffes est à 20km au nord d’Angers, sur
le bord de la Sarthe l’été, mais l’hiver au cœur de cette
grande plaine inondée des Basses Vallées Angevines. Soixante mètres
de large au beau temps, trois kilomètres en temps humide.
C’est
une zone de montée lente des eaux, souvent de 2 à 3 cm par heure,
sans courant violent. L’inondation dure de quelques jours à une
bonne semaine.
Les
crues ordinaires qui reviennent tous les trois ou quatre ans inondent
une dizaine de maisons, les grandes crues trentenales ou centenales
la quasi totalité du bourg.
La
crue est inscrite dans la vie du village ; on y vit avec la
crue.
Nos
grands parents disaient : « On a eu l’eau grande en
1910 ».
C’était
un temps difficile, une gêne et une source d’inconfort.
Jusqu’en
1995 on n'a pas parlé de « catastrophe ». Parce que la
crue jusqu’alors avait été vivable, c’était un moment à part,
que les gens savaient gérer à leur façon.
En
temps d’eau grande..
Dans
la mesure du possible, la vie continue, les commerces sont actifs ;
on se marie, on vote, on se retrouve en bottes, en barque. Le temps
se déroule autrement, les artisans s’arrêtent et participent à
l’entraide qui se développe spontanément.
Des
générations se sont succédées en gardant le souvenir de moments
conviviaux, partagés dans un événement exceptionnel et au bout du
compte fédérateur de la vie du village.
La
crue de 1977 amena un élément de discorde : on avait pensé
les inondations terminées avec les travaux et des aménagements de
la Loire…
De
nouveaux habitants se sont sentis trompés parce qu’on les avait
laissés bâtir des pavillons qui se retrouvaient inondés à peine
aménagés.
L’application
plus stricte des cotes de construction a ramené par la suite les
niveaux au dessus des plus hautes eaux connues alors (1910) .
Les habitations récemment bâties n’ont pas été inondées en
1982.
Cependant
les temps avaient changé et on a ressenti les nouvelles contraintes
dues au changement de mode de vie : la difficulté des
déplacements, du stationnement des voitures, comment les rejoindre
dans l’inondation, alors que l’on perd la pratique de la barque
ou l’usage des cuissardes ; une dépendance croissante aussi à
l’alimentation en électricité, au téléphone ou au chauffage.
La
crue de 1995, imprévisible, a dépassé les capacités des bénévoles
du village. Les pompiers volontaires s’y sont épuisés. Pour la
première fois des aides extérieures sont intervenues, souvent
ressenties comme inadaptées par leur méconnaissance des habitudes
et la démesure des moyens mis en œuvre : évacuation non
préparée, déménagements abandonnés, survol abrutissant d’un
hélicoptère, présence de militaires et de gendarmes interdisant
tout accès et déplacement dans le village. Les aides financières
elles-mêmes ont fait naître des sentiments d’inégalité.
De
telles mesures, si elles sont nécessaires peuvent et doivent être
préparées, communiquées pour ne pas être ressenties comme
brutales et choquantes.
Le
retour d’expérience a permis en 1999-2000 de retrouver une
ambiance plus humaine.
Pour
préparer la prochaine …
Il
faut réussir à informer correctement les nouveaux arrivants,
propriétaires et locataires, ceux qui n’ont pas déjà vécu ce
phénomène.
En
général les acquéreurs sont prévenus, mais sans insister, et il
est quelquefois délicat de fournir les photos, les niveaux de
référence, les pratiques nécessaires pour s’installer sans faire
d’erreur technique et pour garantir une durabilité du matériel.
Beaucoup de jeunes travaillent par eux mêmes à l’aménagement de
leur maison.
Les
proverbes étaient clairs autrefois :
«
Si tu achètes une maison à Cheffes, achète aussi un bateau… »
« Quand
la future mariée prépare son trousseau, elle peut prévoir une
paire de draps en moins, mais une paire de bottes en plus ! »
C’est
moins simple aujourd’hui.
Le
contact est à privilégier, le bain associatif du village amène
souvent des échanges et des rencontres amicales qui évoquent en
souriant les futures inondations.
Etudes,
projections, simulations ne donnent que peu d’espoir de voir
diminuer le risque : réduire la vulnérabilité est un objectif
prioritaire. Les aides proposées ne suscitent que peu de
candidatures pour de nouveaux aménagements ; l’habitat ancien
est déjà partiellement adapté.
Jusqu’ici,
on a insisté sur la responsabilisation des particuliers dans leurs
travaux de rénovation ou les projets de construction.
Mais
il reste à trouver un moyen efficace pour que les services et les
entreprises qui travaillent en zone inondable soient en permanence
informés des niveaux à respecter et d’une exigence qui leur
échappe totalement : la population a l’intention de vivre sur
place malgré l’inondation. Une véritable incompréhension se
manifeste : les techniciens assurent que leur matériel installé
ne craint pas l’inondation, ils ne se préoccupent pas de savoir
s’il reste fonctionnel à des niveaux où il est encore acceptable
de vivre dans le village.
Faute
de prise en compte de cette exigence, de nombreux habitants seront
privés très tôt d’électricité et devront quitter leur
habitation. Or, il est fondamental pour limiter les dégâts de
conserver sur place les personnes valides et physiquement aptes à
déménager et à prendre les précautions nécessaires en temps
d’inondation. Les conséquences matérielles, les pollutions et les
oublis de sécurisation vont se multiplier en absence des habitants
qui seront amenés à quitter leur domicile de plus en plus tôt, et
à revenir de plus en plus tard, retardant ainsi le retour à la vie
normale.
Un
nouveau risque se profile, dû à un manque de compréhension et de
vigilance dans les réalisations nouvelles, parce qu’on semble
préférer l’évacuation des populations à une vie sur place qui
jusqu'à aujourd'hui n’a fait aucune victime mais a toujours amené les
habitants à se prendre en charge plutôt qu’à attendre
passivement de l’aide.
Entre
services administratifs, municipalité et habitants, un cahier des
charges doit être défini, adapté aux contraintes locales,
définissant un niveau considéré comme habitable sans danger, mais
qui assure l’alimentation en énergie et en communications
(téléphone, internet…)
Un
affichage permanent est à prévoir dans les locaux techniques et les
boîtiers, avec des informations nécessaires aux travaux ( niveaux,
contraintes techniques..)
Si
nos grands parents ne demandaient de compte à personne et ne
recherchaient pas d’autres responsables que les caprices de la
nature, aujourd’hui les contraintes d’assurances, de financements
bancaires, de responsabilités réglementaires amèneront des
réactions plus complexes et vraisemblablement plus douloureuses pour
tous.
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